… grâce aux couloirs humanitaires (L’Hebdo)

Print Friendly, PDF & Email

logo_hebdo_2014

Article paru le 14 juillet 2016 dans “L’Hebdo”:

Version pdf (Page 32, Page 33, Page 34):


Des réfugiés débarquent en Italie grâce aux couloirs humanitaires

Mis en ligne le 14.07.2016 à 05:52

 

Reportage. Depuis le début de l’année, 281 Syriens sont arrivés légalement en Italie grâce à des couloirs humanitaires entre Beyrouth et Rome. Ils essaient aujourd’hui de s’intégrer à l’aide d’organisations religieuses. Rencontre.

Abdel Ghani a les traits tirés, ce jeudi matin. Il vient d’atterrir à Rome après quatre années passées au Liban, après avoir fui la guerre en Syrie. Ses yeux sont cernés, sa voix tremble, mais il tient à remercier ceux qui ont rendu possible son exil. Une centaine de personnes sont réunies à Fiumicino, l’aéroport de la capitale italienne, pour l’accueillir, lui, sa femme, ses trois enfants ainsi que 76 autres Syriens.

Ils sont arrivés légalement grâce à des couloirs humanitaires mis en place par l’Italie. Ce n’est pas le cas des 70 930 autres personnes débarquées dans les six premiers mois de 2016 sur les
 côtes italiennes, selon un chiffre du Ministère italien de l’intérieur. Au total, la Péninsule a vu affluer sur son sol 153 000 migrants en 2015 et 170 000 en 2014. Sur cette période, plus de 10 000 personnes ont perdu la vie en tentant de traverser la Méditerranée. «C’est un nombre aussi élevé qu’entre 1988 et cette période», s’emporte Daniela Pompei.

Elle est la responsable des services aux immigrés au sein de la Communauté de Sant’Egidio, une puissante organisation catholique italienne. Pour mettre un terme aux innombrables morts en mer, Sant’Egidio s’est associée aux Eglises évangéliques italiennes pour créer un chemin sûr. Un protocole d’entente signé le 15 décembre 2015 avec le gouvernement italien a permis la naissance de couloirs humanitaires.

Le projet prévoit l’arrivée en Italie d’un millier de personnes sur deux ans. Il veut permettre aux victimes de guerres ou de pauvreté de pouvoir se rendre sur le continent européen «en toute sécurité et légalement, sans risquer leur propre vie». Les réfugiés arrivés ce 16 juin viennent s’ajouter à 200 autres personnes parvenues en Italie grâce aux premiers couloirs humanitaires des mois de février et de mai. L’opération est financée par les organisations, qui dépensent 20 euros par jour et par personne. Elles espèrent ouvrir d’ici à l’automne des couloirs avec le Maroc et l’Ethiopie.

Ce jeudi 16 juin, une cérémonie d’accueil est organisée dans le hall d’embarquement du terminal 5, fermé pour l’occasion. Des volontaires ont apporté des fleurs, des réfugiés arrivés plus tôt dans l’année tiennent des banderoles. Ils y ont inscrit en couleur «Bienvenue en Italie», en italien et en arabe. Au milieu de la foule, Abdel Ghani, un ancien commerçant syrien, raconte son histoire. Il est originaire de Homs, dans l’ouest de la Syrie. Son fils étant atteint d’une maladie chronique des reins, il a décidé de fuir la guerre. A Beyrouth, il entend parler des couloirs humanitaires. Après vérification de son histoire, la Communauté de Sant’Egidio lui permet de s’envoler pour l’Italie avec sa famille.

«Nous avons tout abandonné, relate-t-il. Dans l’avion, c’était très difficile, car nous ne savions pas du tout ce qui nous attendait. Mais tout est devenu facile quand nous avons vu l’accueil que l’on nous a réservé.»

Les membres de cette famille font partie des personnes «vulnérables» retenues par les promoteurs des couloirs humanitaires. Ces derniers assurent appliquer les mêmes critères de sélection que le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et l’Union européenne. «Les familles avec des enfants, les femmes seules, les personnes âgées, malades ou handicapées» sont autant de cas en situation de vulnérabilité.

Des membres de l’organisation catholique se rendent régulièrement au Liban pour des missions de plusieurs mois. Ils vérifient l’histoire des personnes qui leur sont signalées, puis les suivent jusqu’à leur arrivée en Italie. Rome n’est qu’une étape. Une fois débarqués, les réfugiés sont disséminés à travers toute la Péninsule selon les propositions d’accueil que reçoit Sant’Egidio. Ils sont aujourd’hui logés à Rome, Turin, Milan, Lucca ou encore Bari. Et même sur l’île d’Ischia, au large de Naples. Ils sont pour la plupart accueillis par des instituts religieux ou par des diocèses.

Mais où que se trouvent les réfugiés, leur parcours d’intégration doit être le même partout, exige Sant’Egidio. «Ils se rendent très vite à la préfecture pour déposer leur demande d’asile politique», détaille Daniela Pompei. Vu les profils choisis, «il y a peu de chances que leur demande soit refusée, poursuit-elle. Toutes les institutions ont connaissance de notre projet, ce qui accélère beaucoup les procédures.»

La deuxième priorité pour la communauté est l’apprentissage de la langue. Deux jours seulement après leur arrivée, les Syriens logés dans la capitale italienne se retrouvent dans l’école de Sant’Egidio, dans le quartier central de Trastevere. L’établissement est caché derrière une imposante grille métallique, au détour de ruelles typiquement romaines.

Suivi psychologique

Cristina est originaire d’Alep, dans le nord-ouest syrien. En Italie avec son mari depuis vingt-six ans, elle accompagne sa sœur Zuhur, arrivée de Beyrouth le 16 juin, à son premier cours d’italien. Cristina ne réussit pas à contenir son sourire, trop heureuse d’avoir retrouvé sa sœur après qu’elle a fui la guerre il y a trois mois. Bien qu’elle parle parfaitement l’italien, elle tient à assister elle aussi à la leçon.

Dans une classe de moins d’une vingtaine de personnes, Walter, le professeur, se présente et serre la main de chacun de ses élèves. Le cours du jour durera deux heures et posera les premières bases. Les nouveaux étudiants apprennent à dire comment ils s’appellent, d’où ils viennent et s’ils sont un homme ou une femme. Walter, malicieux, demande à une jeune fille du premier rang si elle est un garçon. Confrontée à la première difficulté du jour, la négation, elle est incapable de répondre. Le professeur explique, la classe éclate de rire.

Les réfugiés profitent ici de la bonne humeur de leur professeur. Mais les difficultés qu’ils rencontrent en dehors de ce havre de paix sont réelles. Si, du point de vue administratif, tout fonctionne, ce n’est pas le cas sur le plan émotionnel. Découragement ou dépression touchent parfois les nouveaux arrivés. «Ils sont tous suivis, affirme Daniela Pompei. Ce qu’ils veulent, c’est reprendre simplement une vie normale.»

Un exemple pour l’Europe

Certains d’entre eux, arrivés en février, ont été inscrits à des formations professionnelles afin qu’ils puissent trouver du travail. Ceux qui étudiaient pourront retourner à l’université une fois qu’ils parleront l’italien. L’intégration de ce premier groupe se déroule bien, assure-t-on à Sant’Egidio. Yasmine et Suliman Al Hourani, avec leurs enfants de 4 et 7 ans, se déplacent désormais dans la capitale de façon autonome. D’ici peu, ils emménageront avec une autre famille dans un appartement du centre. Souffrant d’une tumeur à l’œil, Falak, leur fille aînée, a été opérée quelques jours seulement après son arrivée en Italie, en février. Son suivi occupe le quotidien de ses parents depuis qu’ils sont à Rome. Leur fils Hussein a pu intégrer l’école maternelle.

Les promoteurs des couloirs humanitaires souhaitent qu’ils soient un exemple pour toute l’Europe. Ils les ont présentés devant le Parlement européen fin juin. Et le pape, rentrant le 16 avril de Lesbos, en Grèce, avec douze réfugiés à bord de son avion, reste la meilleure vitrine de leur projet. Comme pour Abdel Ghani et ses proches, ces deux familles n’ont pas réussi à contenir leur émotion en arrivant un samedi soir de printemps devant le centre d’accueil de la Communauté de Sant’Egidio, à Rome, accueillis eux aussi avec des fleurs et des chants d’autres réfugiés.


Bientôt en Suisse aussi?

Intéressé par l’expérience italienne, le conseiller national Carlo Sommaruga a déposé une motion demandant au Conseil fédéral d’ouvrir des corridors humanitaires pour les demandeurs d’asile les plus vulnérables.

C’était en mai 2015 à Augusta, le port de Syracuse, en Sicile. Présidée par le Genevois Carlo Sommaruga, la Commission de politique extérieure du Conseil national assiste au débarquement de 286 migrants sauvés en mer. Une expérience qui marque les esprits des parlementaires helvétiques.

Comment éviter ces traversées tragiques aux réfugiés les plus vulnérables, femmes enceintes, enfants, handicapés, personnes âgées? Le socialiste se dit impressionné par la solution italienne élaborée grâce à un partenariat entre l’Etat et les Eglises, notamment la Communauté de Sant’Egidio. Il a déposé, le 15 juin dernier, une motion demandant au Conseil fédéral d’ouvrir des couloirs humanitaires du même type. Son texte a reçu le soutien de socialistes, mais aussi de quelques démocrates-chrétiens et libéraux-radicaux.

Carlo Sommaruga s’emploie désormais à mobiliser les Eglises réformées et catholiques pour qu’elles s’engagent concrètement en faveur d’un tel projet, qui repose aussi sur la solidarité individuelle et permet de canaliser les élans de générosité. Il note encore que la participation de la Suisse aux efforts de relocalisation des réfugiés des contingents du HCR permet déjà des arrivées sûres. En effet, face aux tragédies à répétition en Méditerranée, qui peut vraiment soutenir qu’on en fait déjà assez?