La France va ouvrir des “couloirs humanitaires” pour les réfugiés syriens

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À l’initiative de cinq organisations chrétiennes, la France va ouvrir, après l’Italie, des « couloirs humanitaires » pour accueillir des réfugiés syriens en provenance du Liban. Et leur éviter d’être victimes du trafic d’êtres humains. (Article paru sur www.lavie.fr le 12.03.2017).

AFP PHOTO / JOSEPH EID

La France va ouvrir des “couloirs humanitaires” pour les réfugiés syriens

Laurent Grzybowski, publié le 12/03/2017

Les associations ne cachaient plus leur impatience. Après de longs mois de négociations, le protocole d’accord pour la mise en œuvre d’une opération d’accueil solidaire de réfugiés, dans notre pays, va enfin être signé avec le gouvernement. Le 14 mars, le ministre de l’Intérieur, celui des Affaires étrangères et cinq organisations chrétiennes (la communauté de Sant’Egidio, la Fédération protestant de France, la Fédération de l’Entraide protestante, la Conférence des évêques de France et le Secours catholique) ont rendez-vous à l’Élysée pour lancer officiellement ce projet intitulé Couloirs humanitaires. Son but ? Permettre l’accueil rapide (sur une période de 18 mois) de 500 réfugiés syriens, en provenance du Liban, indépendamment de leur appartenance religieuse ou ethnique, avec priorité donnée aux plus vulnérables : victimes de persécutions, torture ou violence, familles avec enfants, femmes seules ou enceintes, personnes âgées, malades ou handicapées.
 
Un an plus tôt, en Italie
Ce projet-pilote, qui prévoit les conditions d’identification, d’accueil et d’intégration de ces personnes en détresse, entend répondre à une urgence humanitaire. Depuis des années, des milliers de migrants périssent en mer en voulant traverser la Méditerranée pour rejoindre les côtes européennes. Rien qu’en 2016, selon l’Onu, 5000 d’entre eux seraient morts dans le naufrage de leur embarcation. Des milliers d’autres, pris en otage ou réduits en esclavage, sont victimes du commerce mortel des passeurs et des trafiquants d’êtres humains. « Face à cette situation insupportable, il fallait prendre le problème à la source », explique Valérie Régnier, présidente de Sant’Egidio France, mouvement à l’initiative de l’opération.
 
Tout a commencé en Italie, un an plus tôt, lorsque cette communauté fondée par Andrea Riccardi a lancé le projet des « corridoi umanitari », en lien avec les Églises protestantes de la Péninsule. Un protocole a été signé, de la même manière, avec le gouvernement italien pour garantir l’acheminement des personnes les plus fragiles et leur permettre de bénéficier de bonnes conditions d’accueil, en vue d’une meilleure intégration. 700 demandeurs d’asile ont déjà bénéficié de ce système qui leur a permis d’arriver à Rome par avion, en toute légalité, et d’être aussitôt accueillis et pris en charge par des familles volontaires et des réseaux de bénévoles. L’initiative du pape François de revenir de l’île de Lesbos avec trois familles de réfugiés, le 16 avril 2016, avait fait beaucoup de bruit dans la presse à l’époque. Cela avait permis de médiatiser une opération inédite en Europe.
 
« En Italie, le dispositif fonctionne très bien, souligne la responsable de Sant’Egidio. La France va être le deuxième pays à le mettre en œuvre. Il n’ y a pas de raison que ça ne marche pas. » Première étape du processus, l’identification. Grâce à leur présence ou à leurs contacts dans les camps de réfugiés du Liban, les associations porteuses du projet proposeront au consulat français de Beyrouth une liste de bénéficiaires potentiels, choisis parmi les plus vulnérables. Chaque signalisation sera vérifiée sur place par les autorités françaises qui s’engagent à traiter les dossiers en moins de deux mois et à délivrer, si tout va bien, un « visa d’asile ». Dès qu’un groupe de 30 ou 40 personnes ayant obtenu leurs visas sera constitué, ces derniers seront transférés en France par avion, aux frais des associations. « Nous sommes en train de négocier des tarifs préférentiels avec Air France, confie Valérie Régnier. Notre requête est en cours d’examen par la compagnie qui nous a réservé un accueil très favorable. »
 
Un accompagnement important
Arrivés en France, les demandeurs d’asile seront aussitôt pris en charge par des familles d’accueil, en lien avec des équipes de professionnels et de bénévoles qui les accompagneront dans toutes leurs démarches. Les enfants seront scolarisés dans les trois jours suivant leur arrivée en France (les écoles auront été prévenues bien avant) et leurs parents se verront offrir des cours de français et un accompagnement vers l’emploi. Ils devraient obtenir le statut de réfugié en moins de trois mois. L’État s’y est engagé. « Cette disposition est très importante car, dans cette affaire, tout repose sur la rapidité de traitement des dossiers, souligne Valérie Régnier. Pour avoir des chances de réussir et permettre aux familles de devenir autonomes, le processus d’intégration doit être rapide. Actuellement, les délais d’attente sont tellement longs – deux ans parfois – et les résultats si incertains, que les bénévoles s’épuisent et les exilés aussi. Cela peut même créer des situations dramatiques. »
 
« L’octroi accéléré du statut de réfugié et l’engagement citoyen, du début à la fin du processus, sont les deux dimensions importantes de ce projet », renchérit Laurent Giovannoni, responsable du département accueil et droits des étrangers du Secours catholique. « C’est ce qui va contribuer à favoriser l’intégration des nouveaux-venus et à rassurer l’opinion publique en montrant les effets bénéfiques de cette solidarité active. » Tous les frais de l’opération seront intégralement pris en charge par les associations, via des dons et la mobilisation des réseaux chrétiens : une enveloppe évaluée à 11.000 euros en moyenne, sur un an, pour un foyer de quatre personnes. « Et cela ne coûtera pas un centime au contribuable », précise encore Laurent Giovannoni. D’autant que les familles volontaires contribueront gratuitement à l’accueil des réfugiés.
 

Un argument de choc pour l’État, qui délègue ainsi aux associations et aux citoyens une responsabilité morale et financière qui devrait être la sienne. Pour lui, c’est donc tout bénéfice. Mais il y a aussi un autre argument auquel a pu être sensible le gouvernement : ce projet a le mérite d’unir humanité et sécurité. « Quand les gens arrivent à travers des bateaux de manière illégale, c’est difficile de les identifier, par exemple à Lampedusa ou dans d’autres lieux », commente Vincent Picard, un des responsables de Sant’Egidio, à Paris. « Notre dispositif permet de les identifier avant de partir. C’est mieux que de laisser venir les gens n’importe comment. Ce suivi peut-être de nature à rassurer ceux de nos concitoyens qui craignent l’arrivée de possibles terroristes. »

Les Églises sont déjà mobilisées depuis longtemps dans l’accueil de migrants. Suite aux appels répétés du pape François, depuis 2014, des milliers de migrants ont déjà été hébergés par des familles, des paroisses ou des communautés religieuses. Près de 500 ont été accueillis dans le cadre de l’entraide protestante. Mais à l’instar d’autres mouvements citoyens, comme Singa ou JRS-Welcome qui pratiquent l’accueil et l’accompagnement des réfugiés, les associations porteuses du projet Couloirs humanitaires espèrent bien élargir le « recrutement » des volontaires à toute la société civile. « Nous voulons que cette solidarité soit contagieuse, confie Valérie Régnier. C’est la raison pour laquelle nous irons dans les mairies, dans les paroisses, et nous demanderons à nos partenaires de sensibiliser leurs réseaux. »

Du côté de Sant’Egidio, on est convaincu que la signature du 14 mars « engage pour l’avenir », bien au-delà des élections. “Un tel protocole engage l’État au-delà des changements de majorité politique”, assure Valérie Régnier. Et la communauté d’espérer que les projets-pilotes italien et français feront tache d’huile en Europe. « Les couloirs humanitaires se présentent comme un modèle reproductible par les États de la zone Schengen, commente Vincent Picard. Nous souhaitons qu’ils fassent tâche d’huile et qu’ils deviennent un exemple pour toute l’Europe. » La délivrance de visas « pour urgence humanitaire » est déjà prévue dans la réglementation européenne et les réfugiés concernés par ce projet répondent aux critères de vulnérabilité définis par les Nations unies.

D’autres initiatives œcuméniques sont en cours dans plusieurs pays tels que l’Allemagne, l’Espagne, la Belgique ou les Pays-Bas. Interpelée par Sant’Egidio, l’Église catholique polonaise avait accueilli la proposition avec beaucoup d’intérêt et avait même confié la réalisation de ces possibles couloirs humanitaires vers la Pologne à la Caritas nationale. Le gouvernement polonais y a opposé une fin de non recevoir. « Nous ne pouvons nous satisfaire d’une Europe-forteresse », se désole Vincent Picard qui, face au phénomène migratoire et à l’afflux des réfugiés estime qu’« il ne faut plus subir, mais agir ». Le 4 mars 2016, le président de la République, François Hollande, avait promis devant la chancelière allemande Angela Merkel que la France accueillerait 30.000 réfugiés syriens ou irakiens. Un an plus tard, ils ne sont que 3500. Face à cet engagement non tenu, les initiateurs des Couloirs humanitaires espéraient pouvoir faire bénéficier du dispositif au moins 2000 personnes. Mais, malgré le soutien de Bernard Cazeneuve, lorsqu’il était encore ministre de l’Intérieur, ces derniers n’ont obtenu du gouvernement que le chiffre de 500.

Dès l’annonce de la signature du protocole, Valérie Régnier a pris rendez-vous avec les autorités consulaires de Beyrouth. Elle s’y rendra la semaine prochaine dans l’espoir que le premier corridor humanitaire français puisse être ouvert dès la fin du mois d’avril. « Je déposerai sur le bureau du consul la première liste des bénéficiaires, que nous avons eu largement le temps d’établir. » Car, pour la présidente de Sant’Egidio France comme pour ses partenaires, il y a urgence. Et celle-ci n’est pas seulement humanitaire. Elle est aussi liée à l’avenir de nos sociétés et à la stabilité de nos démocraties. Et dans ce domaine, s’il y a une chose dont Valérie Régnier est sûre, c’est, dit-elle, le fait que, dans le climat actuel, « l’accueil et l’intégration protègent bien plus que les murs ».