Un visiteur dans le couloir de la mort

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Fin 2013, durant les fêtes, un membre de la Communauté de Sant’Egidio de Lausanne s’est rendu aux Etats-Unis pour rencontrer un condamné à mort avec lequel il correspond depuis des années; Michael Steck a retrouvé Marcus Wellons au pénitencier de Jackson, en Géorgie.

Michael Steck

(UPDATE au 18.06.2014: A notre grande tristesse, Marcus Wellons a été exécuté le soir du 17 juin à la prison de Jackson)

 Une visite qui intervient dans un moment très difficile pour Marcus (voir ci-dessous). Evénement rare dans la vie d’un condamné à mort comme dans celle de ses correspondants, nous avons proposé à Michael de raconter cette rencontre qui a duré cinq heures. Voici son récit.

« Le samedi 28 décembre 2013, je suis allé voir Marcus dans la prison de Jackson dans l’Etat de Géorgie aux Etats-Unis. C’était ma deuxième visite. Mary Catherine, de « Open Door », une communauté chrétienne très active auprès des plus pauvres et engagée contre la peine de mort, m’a emmené à la prison.

A l’extérieur du bâtiment principal vous devez remplir un formulaire et indiquer vos coordonnées et quel prisonnier vous souhaitez voir. A l’intérieur de la prison vous passez différents contrôles de sécurité, vous laissez votre carte d’identité à un des gardiens et vous entrez plus profondément dans la prison.

Vous longez un long couloir très froid et sombre, vous montez des escaliers, passez un autre couloir et arrivez dans une salle où sont entreposés quelques bancs et des automates à boisson et à sandwich. Avec la monnaie que vous avez (la seule chose que vous pouvez avoir sur vous) vous prenez un Sprite, un cheese burger, des cacahuètes. Je n’ai pas trouvé de chicken wings et j’étais très déçu, car c’est ce que Marcus préfère.

Le pénitencier de Jackson
Le pénitencier de Jackson

 

Un gardien a ensuite crié le nom de Marcus et j’ai passé une autre porte de sécurité. J’ai ensuite donné à un gardien la nourriture pour Marcus et après une dernière porte de sécurité je suis arrivé dans la chambre des visites qui est en fait un couloir où sont alignés une dizaine de bancs et derrière la vitre j’ai aperçu Marcus !

J’ai trouvé un Marcus sautant de joie de me voir et me faisant des grands signes de la main ! Il m’a désigné le téléphone et le banc qu’il voulait prendre et je me suis installé en face de lui derrière la vitre.

Notre visite a duré plus de 5 heures. Nous avons parlé de tout. Marcus voulait entendre plein de récits de ma part. Une de ses premières phrases fut dans le genre : tu sais que j’adore causer, alors parle maintenant parce que après tu n’en auras plus l’occasion (éclats de rires). Il m’a demandé quel film j’avais vu dans l’avion. Je lui ai dit que j’avais vu une comédie et puis un film d’action. Il s’est montré surpris déclarant qu’il ne pensait pas qu’une personne aussi intellectuelle que moi regarde des films d’action. Je sais qu’à une époque il regardait beaucoup les westerns.

Marcus Wellons
Je lui ai parlé du Noël que nous avons passé le 25 décembre avec près de 200 personnes regroupant des personnes de tout  âge et du monde entier. Il m’a demandé combien d’amis âgés étaient présents à la table de Noël. Il a voulu avoir des nouvelles de Marguerite, Denise, Suzanne, Mireille, Josiane, Charles.

Il m’a posé aussi plusieurs questions par rapport à mes cours de théologie. Il est passionné par l’histoire de l’Eglise. Un de ses théologiens préférés est Dietrich Bonhoeffer.

Un moment particulièrement fort fut la prière que nous avons partagée ensemble. Il a demandé à Dieu de bénir les amis de St Egidio, ma famille et toutes les personnes qui me sont proches. Il a remercié le Seigneur pour notre amitié, pour cette belle visite et ce moment de partage. Il a cité l’évangile de Matthieu, 25 (« J’étais en prison et tu m’as rendu visite… »).

Marcus m’a frappé par sa grande humanité. Il essaie à son niveau d’apporter un peu de chaleur et d’amitié aux autres prisonniers. Il est préoccupé non seulement par les souffrances de ses compagnons, mais aussi du moral des gardiens.

A un moment donné il me dit qu’il aimerait apprendre le français. Tout en mangeant son sandwich il me demande comment on dit « turkey » en français et je lui dis : « dinde ». Il fronce les sourcils et il me dit pourquoi je lui dis qu’il est fou. Interloqué je comprends qu’il a entendu « dingue » à la place de « dinde » et je lui épèle alors le mot dinde ! Evidement on éclate de rire ! pas mal comme première leçon de français…

J’en oubliais cette prison, cet environnement hostile, froid et glauque. En fait nous n’étions plus dans une prison. Je discutais avec un ami dans un café et c’est tout ce qui comptait ! »

Salle d'exécution

 

Des prières pour Marcus

La situation juridique de Marcus n’est pas bonne. Les recours liés à son affaire ont tous été rejetés. Et s’il est encore en vie, c’est sans doute parce qu’une controverse a lieu actuellement aux Etats-Unis sur la méthode d’exécution par injection létale et que l’Etat de Géorgie n’a plus de poison à injecter.

Désormais, Marcus ne peux compter que sur une improbable commuation de peine par un Commission des pardons de l’Etat de Géorgie, qui devrait se prononcer sur son cas en février. Passé cette échéance, une date d’exécution lui sera vraisemblablement fixée. Ce qui veut dire que Marcus pourrait être mis à mort avant le printemps!

Marcus est coéditeur d’un périodique baptisé “Compassion”; il signe une page dans la dernière édition en date (janvier 2014). Cette lettre de nouvelles, lancée en 2001, a pour but de “développer une communication curative entre les condamnés à mort et les familles des victimes. De même que donner aux condamnés un forum pour exprimer des sentiments de compassions et d’introspection”.

Outre la publication d’un périodique, “Compassion” gère un fonds qui collecte les dons destinés à la scolarisation au sein des familles des personnes qui ont été tuées.