En décembre, l’ONU votera contre la peine de mort

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Vendredi 21 novembre, la Troisième Commission de l’Assemblée générale de l’ONU (qui traite des questions sociales, liées aux affaires humanitaires ou aux droits de l’homme) a adopté une résolution non contraignante intitulée  “Moratoire sur l’application de la peine de mort” (A/C.3/69/L.51/Rev.1).
 
onu-69e-assemblee 
Cette résolution, qui demande « à tous les États » de limiter progressivement l’application de la peine de mort, a été adoptée par 114 voix pour, 36 contre et 34 abstentions.  Elle sera donc transmise au plénum de l’Assemblée générale pour adoption, en décembre.
 

Vendredi, avant d’accepter cette résolution, la Commission a rejeté par 85 voix, contre 55 et 22 abstentions un amendement présenté par l’Arabie saoudite  visant à reconnaître « le droit souverain de tous les pays d’élaborer leur propre système juridique et notamment de déterminer les peines appropriées ».

 
Cette résolution appelant à un moratoire sur l’application de la peine de mort est la 5e du genre adoptée à l’ONU depuis 2007. Le soutien à ce projet a encore augmenté depuis 2012, date du dernier vote. En 2012, on totalisait en effet 111 votes pour, 41 contre et 34 abstentions.

 

Les nouveaux votes en faveur de cette résolution sont ceux de l’Érythrée, des îles Fidji, du Niger et du Suriname.
 
Autre signe positif, Bahreïn, le Myanmar et l’Ouganda sont passés de l’opposition à l’abstention. Seule la Papouasie-Nouvelle-Guinée, qui s’était abstenue en 2012, a choisi cette fois-ci de voter contre.
 
Ci-dessous, le texte de la résolution adoptée par la IIIe Commission. Les passages en gras sont des adjonctions au texte adopté par l’Assemblée générale de l’ONU en 2012:
 
 
 
Moratoire sur l’application de la peine de mort
 
L’Assemblée générale,
 
Guidée par les buts et les principes énoncés dans la Charte des Nations Unies,
 
Réaffirmant la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention relative aux droits de l’enfant
 
Réaffirmant ses résolutions 62/149 du 18 décembre 2007, 63/168 du 18 décembre 2008, 65/206 du 21 décembre 2010 et 67/176 du 20 décembre 2012 relatives à la question d’un moratoire sur l’application de la peine de mort, dans lesquelles elle a demandé aux
États qui maintiennent encore la peine de mort d’instituer un moratoire sur les exécutions en vue de l’abolir,
 
Se félicitant de l’ensemble des décisions et résolutions du Conseil des droits de l’homme en la matière,
 
Consciente que toute erreur judiciaire conduisant à l’application de la peine de mort est irréversible et irréparable,
 
Convaincue qu’un moratoire sur l’application de la peine de mort contribue au respect de la dignité humaine ainsi qu’à la promotion et au développement progressif des droits de l’homme, et estimant qu’il n’existe pas de preuve concluante de la valeur dissuasive de la peine de mort
 
Prenant acte des débats locaux et nationaux et des initiatives régionales en cours concernant la peine de mort, du nombre croissant d’États Membres disposés à rendre publiques des informations sur l’application de la peine de mort, et également, à cet égard, de la décision prise par le Conseil des droits de l’homme,
dans sa résolution 26/2 du 26 juin 2014, d’organiser des réunions-débats biennales de haut niveau visant la poursuite d’échanges de vues sur la question de la peine de mort,
 
Rappelant le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort et se félicitant à cet égard du nombre croissant d’adhésions à celui-ci et de ratifications de celui-ci,
 
Prenant acte de la coopération technique entre les États Membres, ainsi que du rôle que jouent les organismes compétents des Nations Unies et les mécanismes de défense des droits de l’homme en appuyant les efforts déployés par les États pour instaurer des moratoires sur la peine de mort,
 
1. S’inquiète profondément de ce que la peine de mort continue d’être appliquée;
 
2. Accueille avec satisfaction le rapport du Secrétaire général sur l’application de la résolution 67/176 et les recommandations qui y figurent;
 
3. Se félicite des mesures prises par certains États Membres
pour réduire le nombre d’infractions punissables de la peine de mort, et limiter l’application de celle-ci;
 
4. Se félicite également des décisions prises par nombre croissant d’États, à tous les niveaux de gouvernement, d’appliquer un moratoire sur les exécutions puis, dans de nombreux cas, d’abolir la peine de mort;
 
5. Demande à tous les États :
 
a) De respecter les normes internationales garantissant la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort, en particulier les normes minimales énoncées dans l’annexe de la résolution 1984/50 du Conseil économique et social, en date du 25 mai 1984, et de fournir au Secrétaire général des renseignements à ce sujet;
 
b) De s’acquitter des obligations que leur impose l’article 36 de la Convention de Vienne de 1963 sur les relations consulaires, notamment de respecter le droit d’obtenir des informations sur l’assistance consulaire dans le cadre d’une procédure juridique;
 
c) De communiquer des informations pertinentes sur l’application de la peine de mort, ventilées selon les critères applicables, notamment le nombre de personnes condamnées à mort, le nombre de détenus en attente d’exécution et le nombre de personnes exécutées, ces informations pouvant contribuer à éclairer et rendre plus transparents d’éventuels débats nationaux et internationaux, notamment sur les obligations des États en matière d’application de la peine de mort;
 
d) De limiter progressivement l’application de la peine de mort et de ne pas l’imposer aux personnes de moins de 18 ans, aux femmes enceintes ni aux personnes atteintes de déficiences mentales ou intellectuelles;
 
e) De réduire le nombre d’infractions punissables de la peine de mort;
 
f) D’instituer un moratoire sur les exécutions en vue d’abolir la peine de mort;
 
6. Engage les États qui ont aboli la peine de mort à ne pas la rétablir et les encourage à partager leur expérience à cet égard;
 
7. Demande aux États qui ne l’ont pas encore fait d’envisager d’adhérer au Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, ou de le ratifier;
 
8. Prie le Secrétaire général de lui présenter, à sa soixante et onzième session, un rapport sur l’application de la présente résolution;
 
9. Décide de poursuivre l’examen de la question à sa soixante et onzième session, au titre de la question intitulée «Promotion et protection des droits de l’homme».
 
 
 
Les débats du 21 novembre à la IIIe Commission de l’ONU (extraits)

Selon les termes du projet de résolution intitulé « Moratoire sur l’application de la peine de mort » (A/C.3/69/L.51/Rev.1), présenté par le Chili, adopté par 114 voix pour, 36 contre et 34 abstentions, l’Assemblée générale demanderait notamment « à tous les États » de limiter progressivement l’application de la peine de mort et de ne pas l’imposer aux personnes de moins de 18 ans, aux femmes enceintes ni aux personnes atteintes de déficiences mentales ou intellectuelles.

L’Assemblée demanderait également à tous les États de réduire le nombre d’infractions punissables de la peine de mort et d’instituer un moratoire sur les exécutions en vue d’abolir la peine de mort.

Elle engagerait en outre les États qui ont aboli la peine de mort à ne pas la rétablir.

Le représentant du Chili a souligné que ce texte n’est pas prescriptif, mais permet à chaque pays d’évoluer à son propre rythme pour aborder la question du moratoire sur la peine de mort.

Les États-Unis ont noté la profonde divergence de vues entre les délégations mais qu’en définitive la décision revenait aux pays en fonction de leurs lois et du droit international.  Les États-Unis ont affirmé que la peine de mort peut être appliquée conformément au droit en vigueur, en suivant les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. 

La Constitution interdit les traitements cruels s’agissant de l’application de la peine de mort, a-t-elle expliqué, avant d’exhorter tous les États à se concentrer sur la prévention des violations des droits de l’homme pouvant découler de l’application indue de la peine capitale.  Elle doit être appliquée à l’issue d’un procès juste et équitable.

Le Maroc a déclaré que depuis 1993 le pays appliquait un moratoire de fait sur l’application de la peine de mort et était engagé dans un dialogue fructueux à l’échelle nationale sur ce châtiment.

Les dispositions pertinentes énoncées dans le projet de résolution sont d’ores et déjà mises en œuvre par le Maroc.  Elle est interdite pour les femmes enceintes et une grâce royale est possible, a notamment affirmé le délégué.

Les Bahamas ont réaffirmé leur détermination à respecter les principes consacrés par le texte du projet de résolution.  Le pays s’est soumis au mécanisme de l’examen périodique universel et n’envisage pas de revenir sur sa position sur la peine de mort.  La délégation a affirmé qu’il ne s’agissait pas d’une question relevant des droits de l’homme et qu’elle voterait contre.

Le Myanmar a affirmé pour sa part que depuis que le pays s’est lancé dans le processus de démocratisation, le Gouvernement fait tout son possible pour prendre en considération le droit international.  Cependant, il a hérité du Royaume-Uni une loi imposant la peine de mort.  Le délégué a fait état d’une amnistie décidée le 2 janvier 2014 par le Président du Myanmar dans le contexte du processus de réconciliation nationale, tous les condamnés à mort ayant vu leur sentence commuée à une peine à perpétuité.  Le représentant a déclaré que sa délégation s’était abstenue.

L’Indonésie a dit que par principe, ce pays s’opposait aux exécutions extrajudiciaires, s’agissant notamment des enfants, des femmes enceintes et d’autres cas spécifiques.  L’Indonésie a appuyé l’amendement proposé qui n’a pas bénéficié de l’appui de tous.  En l’absence d’accord au niveau international, il importe de respecter tous les points de vue et c’est la raison pour laquelle l’Indonésie s’est abstenue.

Le Viet Nam s’est exprimé dans le même sens, justifiant la peine de mort en tant que mesure de dissuasion qui ne doit s’appliquer qu’aux cas des crimes les plus graves.  Le Viet Nam l’applique pour les crimes les plus atroces et a réduit les sentences de moitié au cours des dernières années.

Les mineurs ne sont pas passibles de la peine de mort, qui n’est pas appliquée aux femmes ni aux personnes souffrant d’une maladie mentale grave, a expliqué le Japon, qui a ajouté que la décision d’instituer un moratoire appelait à la prudence et devait prendre en considération tous les facteurs, comme l’opinion publique.

La République démocratique populaire lao a affirmé que même si cette peine existait encore au niveau national, elle n’était pas appliquée.  Ces dernières années, beaucoup de condamnés ont été amnistiés et un processus de révision du Code pénal a été récemment lancé.  Toutefois, chaque État a le droit de choisir son propre système pénal et la délégation s’est donc abstenue.

L’Inde a déclaré que la peine de mort est appliquée dans les cas où un crime choque la société et après un appel devant un tribunal supérieur.  Les jeunes criminels ne peuvent en aucune façon être condamnés à mort et l’accusé a toujours le droit de faire appel.  L’Inde a voté contre car le texte, va à l’encontre des lois statutaires du pays.  

Le Bangladesh a rappelé qu’il avait parrainé le projet d’amendement convaincu qu’il est que chaque pays a le droit de choisir son propre système judiciaire.  Cette peine n’est néanmoins prononcée au Bangladesh que dans les cas les plus graves.  Il n’existe pas de consensus international sur cette question et chaque État est libre de décider souverainement.

Depuis 2003, la peine de mort n’est pas appliquée à Cuba, a affirmé le représentant de ce pays, qui a précisé qu’aujourd’hui aucune personne n’est condamnée à mort et que depuis 2008, tous les condamnés à mort ont eu leur peine commuée à une sentence à perpétuité.  Pour défendre la sécurité nationale, Cuba s’est vu forcé de prononcer de lourdes peines contre ceux qui sont jugés coupables d’actes terroristes. 

Prenant la parole au nom également de l’Arabie saoudite, du Koweït et d’Oman, le Qatar a dit avoir voté contre le projet de résolution car il touche à un domaine souverain des États.  L’amendement, en revanche, a été appuyé par les pays cités.

Le Chili s’est dit convaincu que le monde s’achemine vers l’abolition de la peine de mort, et a rappelé que les personnes exigent davantage de sûreté et de sécurité, « ce qui ne passe pas forcément par la peine de mort ».

Présentation et mise aux voix d’un projet d’amendement

Avant de se prononcer sur l’adoption du texte susmentionné, un projet d’amendement (A/C.3./69/L.66) à ce texte a été mis aux voix.

Celui-ci viserait à intégrer un paragraphe supplémentaire dans le texte, selon les termes duquel l’Assemblée générale réaffirmerait « le droit souverain de tous les pays d’élaborer leur propre système juridique et notamment de déterminer les peines appropriées, conformément aux obligations que leur impose le droit international ».

La représentante de l’Arabie saoudite a affirmé que si le projet de résolution respectait bel et bien les principes de la Charte des Nations Unies, il n’y aurait pas lieu de présenter le projet d’amendement en question, pointant notamment du doigt l’appel à établir un moratoire sur la peine de mort qui figure dans le projet de résolution.

Elle a expliqué que le projet d’amendement visait à rétablir l’équilibre du projet de résolution, et a regretté que les auteurs du texte aient rejeté le libellé contenu dans le projet d’amendement pendant les négociations.

Le représentant du Bénin a souligné que le principe de souveraineté exigeait que les États souscrivent à leurs obligations internationales.  Il a estimé que l’insertion du libellé de l’amendement se ferait au détriment des autres références contenues dans le texte du projet de résolution.  Le Bénin votera contre le projet d’amendement et pour le projet de résolution.

La représentante de l’Uruguay a déploré la présentation du projet d’amendement.  Elle a affirmé que le projet de résolution ne pouvait être considéré comme une ingérence dans le droit souverain des États, ces textes n’ayant, a-t-elle rappelé, que des fonctions de recommandations.

Le représentant de l’Albanie a lui aussi dénoncé une tentative de saper le contenu et l’objectif du projet de résolution qui est, a-t-il souligné, d’appeler les États Membres à établir un moratoire sur la peine de mort dans le but de l’abolir par la suite.  Un tel texte ne peut pas être considéré comme une violation de la souveraineté des États, a-t-il affirmé.

Le projet d’amendement a été rejeté par 85 voix contre, 55 pour et 22 abstentions.

Explications de vote avant adoption du projet de résolution

La représentante des Bahamas a fait un rapprochement entre la pratique de l’esclavage et l’imposition de la peine capitale.  Elle a également pointé du doigt le mauvais fonctionnement de certains tribunaux, pour ensuite déplorer la mauvaise représentation du système judiciaire des Caraïbes qui est faite dans certains rapports.  Elle a souligné que c’est aux gouvernements de décider ce qui convient d’être mis en œuvre ou pas.

Le représentant de l’Italie a souligné l’importance que revêt la question du moratoire sur la peine de mort, faisant observer que le projet de résolution ne réclame pas son abolition.

Le représentant de la Chine a estimé que chaque pays a le droit de décider du maintien ou non de la peine de mort.  De son avis, l’adoption du texte ne ferait que politiser cette question.  La Chine votera pas conséquent contre.

La représentante de Singapour a regretté que le projet de résolution n’envisage la peine de mort que du point de vue de la personne condamnée et ne prend pas en considération le fait que cette peine est imposée pour des crimes graves.  Elle a estimé que le projet de résolution porte atteinte au droit des États de décider de leur politique relative à la peine de mort.

Le représentant de l’Argentine a relevé que comparé aux années précédentes, un nombre limité d’amendements au texte avaient été présentés.  Il a souligné que l’objectif du texte n’est pas d’imposer une vision mais d’encourager l’imposition d’un moratoire sur la peine de mort.

Le représentant de la Papouasie-Nouvelle-Guinée a expliqué que dans son pays, la peine de mort n’est appliquée que pour les crimes les plus terribles et jamais arbitrairement.  Il a précisé que la peine de mort n’avait pas été appliquée depuis plus de 40 ans, la dernière exécution ayant eu lieu en 1954 à l’époque du régime colonial britannique.

Il a regretté les lacunes du projet de résolution rédigé dans le but, a–t-il accusé, de servir les intérêts des États qui sont contre la peine de mort.  Il a aussi souligné que la peine de mort n’est pas illégale et a argué que son imposition est une loi valable.

Le représentant de l’Égypte a affirmé que le projet de résolution ignore la grande diversité des systèmes juridiques.  Chaque État a le droit d’établir un système d’imposition de peines qui correspond le mieux à sa culture et à sa condition sociale, a-t-il argué.

Le représentant du Soudan a insisté sur la compétence du système judiciaire en vigueur dans son pays, précisant que la peine de mort est appliquée pour des situations qui menacent la stabilité de la société.  Les femmes et les personnes handicapées en sont exemptes.  La peine de mort est envisagée par le projet de résolution d’un point de vu étroit et son adoption risque d’avoir des répercussions sur la sécurité des sociétés, a-t-il averti.

Le représentant du Botswana s’est opposé à l’imposition de conditions à l’application de la peine de mort dans son pays, pointant notamment du doigt l’appel à appliquer un moratoire sur la peine de mort qui figure dans le projet de résolution.  Il a affirmé que c’était une forme d’ingérence et que la peine de mort est une question de jurisprudence et non pas de droit de l’homme.  Rien dans le droit international n’interdit l’imposition de la peine de mort.

Le représentant du Pakistan a expliqué qu’un moratoire sur la peine de mort existe dans son pays depuis 2010, mais l’interdiction de la peine de mort a de nombreuses répercussions, à commencer par le maintien de l’ordre social en empêchant notamment le meurtre de civils par des terroristes.  Il a estimé que la question de la peine de mort doit être envisagée de manière holistique.  Il a affirmé que le projet de résolution aurait dû se centrer sur des questions pratiques, à commencer par la coopération.

La représentante de Trinité-et-Tobago a dénoncé un texte déséquilibré, soulignant que chaque État a le droit de décider de l’application de la peine de mort.  En outre, il n’existe pas de consensus sur le plan international en ce qui concerne le moratoire ou l’abolition de la peine de mort.

Ne pas mentionner explicitement le droit souverain des États ne revient pas à le saper, a lancé à son tour le représentant de la Nouvelle-Zélande.

Le représentant de la Micronésie a souligné que le moratoire a été conçu pour servir de guide aux pays et a appelé les États à y recourir.