Sans école, quel avenir pour les Rroms ? (communiqué)

Print Friendly, PDF & Email

A l’occasion de la Journée internationale des Rroms, nous avons organisé un événement à Lausanne. Nous souhaitions notamment mettre en lumière le destin des familles rroms depuis l’interdiction de la mendicité dans le canton de Vaud, le 1er novembre 2018. Voici le communiqué distribué durant la conférence de presse.

Dans la région lausannoise, de 2014 à 2018, 18 enfants ont pu être scolarisés dans le cadre de « Droit à l’école, droit à un avenir ». Ce programme lancé par S. Egidio avait pour but de faciliter l’accès à l’école aux enfants des personnes pratiquant la mendicité à Lausanne. Un système de parrainage a été mis en place pour financer les frais d’assurance-maladie (obligatoire) et de scolarisation.

L’entrée en vigueur de l’interdiction de la mendicité dans le canton de Vaud, le 1er novembre 2018, a malheureusement mis un terme au développement de ce programme. Au 2 novembre 2018, seul un enfant a poursuivi sa scolarité dans la région lausannoise.

Durant les cinq derniers mois, la plupart des familles que nous suivions ont dû déménager plusieurs fois. La plupart d’entre elles ont opté pour la France, où elles vivent souvent dans des conditions de logement plus précaires que dans la région lausannoise. A notre connaissance, aucun enfant n’a pu y être scolarisé. Idem pour les quelques familles ayant opté pour l’Allemagne ou la Roumanie : les enfants ne vont plus à l’école.

Quelques familles ont fait le choix de rester à Lausanne ou dans les communes environnantes, mais leurs conditions de vie se sont dégradées. Il est plus difficile de réunir l’argent nécessaire à se nourrir et à payer une place dans un abri de nuit. Et rares sont ceux qui ont trouvé un travail. Concrètement, cela signifie plus de nuits au froid pour les hommes, les femmes et les enfants. Cette précarité est une entrave majeure à la scolarisation.

De ce fait – et avec beaucoup de regrets – S. Egidio doit se contenter d’offrir un appui scolaire aux enfants présents à Lausanne et environs. Elle n’est plus en mesure de mettre en place une scolarisation avec tous les défis que cela implique.


Ne pas criminaliser la pauvreté

Par cette interdiction, le « problème rrom » n’a pas été résolu. Au contraire. Pour de nombreuses personnes il a été déplacé et, pour la majorité, il a été accentué. D’ailleurs, de nombreuses personnes rroms reviennent actuellement à Lausanne tant la situation s’est détériorée ailleurs en Europe.

S. Egidio, mouvement chrétien œcuménique, considère que, tant que la société n’est pas équitable et n’offre pas une place digne à chacun, elle ne peut interdire la mendicité pratiquée par ses membres les plus vulnérables. De ce fait, avec d’autres organisations, elle a introduit un recours à la Cour européenne des Droits de l’Homme.

La Communauté S. Egidio attend des autorités de véritables politiques et des stratégies de soutien sous la forme de mise en place d’aides structurées d’accompagnement et d’assistance pour les plus vulnérables de notre société. Un soutien aux familles rroms qui scolarisent leurs enfants serait un progrès indéniable. En particulier dans le domaine de l’hébergement et dans l’aide à la recherche d’un emploi.

Interdire la mendicité sans offrir une alternative crédible, c’est mépriser le pauvre, nier son existence et se déresponsabiliser.  “Il y aura toujours des indigents dans le pays ; c’est pourquoi je te donne ce commandement : Tu ouvriras ta main à ton frère, au pauvre et à l’indigent dans ton pays” (Deutéronome 15-11).

Préserver le droit de donner et de recevoir personnellement, ce n’est pas décharger de sa responsabilité la société envers ceux qui sont dans le besoin. Ce n’est pas renoncer à tout mettre en œuvre pour améliorer les conditions de vie des familles rroms et rendre notre société plus équitable. Mais on ne lutte pas contre la pauvreté en s’attaquant aux pauvres, qui n’ont aujourd’hui, pour certains, pas d’autre moyen de survie que la mendicité.

Pour toutes ces raisons, la Communauté S. Egidio encourage chacun à s’arrêter, à regarder en face celui ou celle dans la détresse l’esprit ouvert et non-jugeant et à exercer sa solidarité sous toutes les formes qu’il jugera bonnes.


A propos de S. Egidio

S. Egidio à Lausanne s’engage depuis 1990 auprès des plus démunis (migrants, rroms, personnes âgées). Elle accompagne et soutient de nombreuses personnes rroms roumaines depuis dix ans. Et porte donc un regard très attentif sur le sort de ces personnes depuis l’interdiction de la mendicité dans le canton de Vaud.

Ces dernières années, en collaboration avec l’association Opre Rrom et l’espace multiculturel des Eglises (Point  d’Appui), elle tente d’améliorer la situation de vie des familles rroms à Lausanne, en particulier par la scolarisation de leurs enfants et l’accompagnement de jeunes adultes sur le marché du travail.

Au cours de ces années, elle a développé une connaissance concrète des réalités de vie de ces familles en provenance majoritairement de Roumanie et a développé une réflexion sur la mendicité.

Anne-Catherine Reymond
présidente