« Laissez venir à moi les petits enfants » (Luc, 18, 16)

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Dans une rue à large trottoir de Paris, une maman et son fils de 7 ans pédalent sur leurs vélos : « Tu vois, là, Quentin, dans ce restaurant, c’est là que j’ai mangé la dernière fois avant que tu ne sortes de mon ventre »  Quelques secondes. « Qu’est-ce que tu as mangé ? »  Et là, du tac au tac : « Hou là, je ne me souviens plus, tu sais, c’est quand même assez loin ! » Un moment : « Mais… est-ce que c’était bon ? » Un  petit silence, comme interloqué, puis : « Heu… probablement… » Et tout de suite,  « Parce que tu vois, c’est important pour moi, puisque j’en ai aussi mangé… » Et ils pédalent, et ils pédalent. Ensemble. Et il tisse, avec elle, les fils de la relation qui  le construit et les fait vivre.  Dans une confiance absolue.

La relation et la confiance.  Ils vont rentrer chez eux,  le papa sera là -on imagine…

La -haut, dans le grand  cube  aux chambres  trop petites pour les familles,  Il y a les yeux sombres et rieurs de cette maman algérienne  sur sa petite fille de 4 ans, qui court partout, qui lui échappe, qui se lance dans les bras des visiteurs, et qui pousse des cris stridents d’excitation  quand l’un d’entre eux la fait sauter sur ses genoux. Et puis la petite revient vers sa maman et se jette  contre son ventre avant de relever la tête vers son visage : elles échangent alors un regard de grand océan noir, dans lequel flotte   un attachement sans fond.

La relation et la confiance. Mais elles ne vont pas rentrer chez elles, elles n’ont plus de chez elle, et le papa n’est pas là.

A tous ces enfants, et à ceux qui leur ressemblent,  le Royaume appartient, Vous l’avez dit.  Mais en attendant cette perspective alléchante, on est ravi certes, pour le petit garçon qui pédale avec sa maman, parce qu’on sait qu’il vit là des moments que rien plus tard, ne pourra entacher, quelles que soient les difficultés de son parcours. Et on se dit même que ces moments  lui  traceront  peut-être  un chemin qui pourrait mener vers Vous… qui sait ?

On est moins ravi pour la petite fille au visage tout rond et aux boucles brunes qui volent sur ses épaules : elle va découvrir avec les années  combien  tout cela  est dur  pour sa maman.  Et surtout combien tout cela est injuste, sans fondement, sans raison, juste à cause de la folie des hommes.  Alors quoi ? La révolte ? La violence ? Le désespoir ?  Je Vous vois venir :  elle se souviendra peut-être aussi – qu’en sais-tu ?-   des carrés de chocolat, des sucettes  et des oeufs – elle aime bien commencer à enlever leur  coquille, après elle les jette sur la table et repart dans une cavalcade- de ces visiteurs du soir qui amenaient  des bonnes choses à manger, et qui la faisaient rebondir  sur leurs genoux. Mmmouais….. ah oui ?  Aussi un chemin vers Vous ?  Après tout…

Alors on continue d’amener du pain tessinois,  des fromages mous avec lesquels les enfants s’emplâtrent les doigts, et, en ce moment, des fraises qui finissent en flaques écrasées sur les joues.  On mange avec eux,  dans le local éclairé de néons blancs,  encombré de poussettes,   sur des tables et des bancs qui collent. Et on sait bien que Vous êtes là.

Texte rédigé par Aline, bénévole de S. Egidio