Mozambique, le sens d’une présence: éditorial d’Andrea Riccardi

Article d’Andrea Riccardi paru dans le quotidien Corriere della sera.

Le départ définitif des militaires italiens d’Afghanistan, avec pas moins de 53 compatriotes tombés au combat, est amer. Après vingt ans de présence occidentale, on éprouve de la tristesse à voir ce pays livré aux mains des talibans, qui refusent tout progrès civil, notamment pour les femmes. Paolo Mieli a eu raison de soulever dans ces pages la question des Afghans qui ont collaboré pour un avenir meilleur. Notamment une cinquantaine de personnes, interprètes et collaborateurs des Italiens (400 personnes avec leurs familles), à l’égard desquels nous avons une sérieuse responsabilité.

En signe de solidarité, la Société Dante Alighieri, a décidé d’employer l’un de ces interprètes. L’amertume du retrait nous fait réfléchir sur les missions militaires italiennes, dont nous sommes globalement fiers. Certains sont motivés, « parce que nos alliés le demandent ». C’est logique pour l’Italie, partenaire de l’alliance, mais ce ne peut être la seule raison. Cela ne nous dispense pas de la responsabilité d’une vision et de priorités dans l’engagement à l’étranger.

C’est une question à laquelle il faut réfléchir lors du sommet de la coalition anti-Daesh, qui se tient aujourd’hui même à Rome, présidé par le ministre Di Maio et le secrétaire d’État américain, Blinken. Quarante ministres des affaires étrangères discuteront de la lutte contre les dimensions mondiales du terrorisme, avec un accent particulier sur l’Afrique. La réunion de Rome reconnaît l’engagement de l’Italie. Je ne rappellerai que la mission au Liban (engagée dès 2006 à l’initiative de Prodi). La situation difficile du Liban – 1 500 000 réfugiés syriens sur six millions d’habitants – engage également l’Italie dans une action politique : le pays reste un espace de liberté aux côtés de la Syrie en guerre, où règne le violent régime d’Al Assad.

Depuis quelque temps, je suis également convaincu que la frontière de la sécurité de l’Italie et de l’Europe passe par les pays du Sahel, trop négligés tel le fragile Burkina Faso (jusqu’à hier, il n’y avait même pas d’ambassade italienne là-bas). Le Sahel, aux frontières poreuses, est un carrefour de terrorisme, d’instabilité, de trafic criminel de personnes, sur lequel pèse l’instabilité de la Libye. Une vision stratégique est également nécessaire dans cette région, plutôt que de jouer les seconds rôles face à la France, comme l’Italie tente de le faire depuis 2012.

Aujourd’hui, le changement de scénario vient du retrait de la France du Mali, où elle avait un engagement militaire historique. Pour le président Macron, il s’agissait d’un « travail sans fin », privé de la collaboration du gouvernement malien. Il reste 300 soldats italiens, avec des Français et d’autres en tant que forces spéciales, destinés à la formation et aux opérations de combat dans un territoire, peu connu de l’Italie, avec lequel nous n’avons jamais eu d’histoire commune.

Un discours cohérent de notre pays dans la lutte contre le terrorisme ne peut éviter le Mozambique, où l’Italie a assuré une présence constante et cohérente, depuis 1975, année de l’indépendance. La paix entre le gouvernement et la guérilla, après un conflit qui a fait un million de morts, porte la marque de l’Italie : elle a été négociée et conclue à Rome en 1992 (et j’en ai fait personnellement l’expérience).

De 1992 à 1994, plus de mille soldats italiens ont accompagné la renaissance du pays, où la paix régnait jusqu’à hier. Depuis 2018, cependant, Ansar al-Sunna (à partir de contacts présumés avec Daesh et d’un soutien étranger peu clair) mène des combats dans le nord du Mozambique, une région riche en ressources naturelles. Dernièrement, elle a mené des actions importantes et contrôle une partie du territoire. La réponse mozambicaine, malgré l’aide de mercenaires russes et sud-africains, est inefficace.

Près de 800 000 réfugiés du Nord sont dispersés au Mozambique dans des conditions dramatiques. Ils racontent des histoires inédites de violence terroriste. Ils ressentent la fragilité du reste du pays. Le terrorisme islamique a des racines sociales et géopolitiques. L’intérêt de bloquer l’exploitation de la zone par les multinationales est clair. Entre autres choses, cette exploitation a bouleversé en quelques années le cadre social d’un peuple marginal. J’ai été impressionné par une personne enlevée, relâchée par la suite, qui a rapporté avoir vu des jeunes parmi les terroristes, qui avaient auparavant fréquenté des milieux chrétiens. Le djihadisme ne devient-il pas une idéologie de révolte dans des zones marginalisées (en présence de grandes richesses), utilisée dans le cadre d’un conflit géopolitique plus large ? L’Italie doit poser le problème, en termes renouvelés, d’une présence politique ainsi que militaire au Mozambique.

Le cadre européen est important, mais il y a aussi une responsabilité bilatérale. Au Mozambique, l’Italie est le nom de la paix. Le Portugal, avec son histoire coloniale encore chaude, pourrait-il être le chef de file d’une intervention européenne ? Mais il y a un problème global (militaire, politique, social), dans lequel l’Italie a quelque chose à faire et à dire. Ne pas exister au Mozambique, alors que l’on est présent dans d’autres régions du monde, serait une incohérence irresponsable, si l’on croit que l’histoire a un poids et un sens.

Andrea Riccardi, éditorial paru dans le Corriere della Sera du 28/06/2021
[traduction de la rédaction]

Source: Mozambique, le sens d’une présence / Editorial d’Andrea Riccardi dans le Corriere della Sera