“Sant’Egidio, entre prière et diplomatie”

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Entraide • Le mouvement chrétien de laïcs Sant’Egidio est très engagé dans la médiation pour la résolution pacifique des conflits qui sévissent à travers la planète. Les explications de son président international. (Article paru dans “La Liberté” le 29.06.2013).

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Sant’Egidio, entre prière et diplomatie

PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENCE D’HONDT

Marco Impagliazzo est président de la communauté de Sant’Egidio depuis 2003. Professeur d’histoire contemporaine, il est également membre du Conseil pontifical pour la culture. Rencontre avec un mouvement chrétien qui est devenu un partenaire important dans la résolution des conflits dans le monde.

La communauté de Sant’Egidio est très impliquée dans les affaires de ce monde. L’une des activités qui a caractérisé son action ces dernières années est liée à la médiation entre des parties en conflit. Qu’est-ce qui vous a amené sur ce terrain délicat?

Marco Impagliazzo: Nous avons démarré nos activités de médiation dans le cadre de la fin du conflit au Mozambique au début des années 1990. Nous étions déjà implantés dans le pays dans le cadre de l’aide que nous apportions aux populations. C’est suite à la demande de l’évêque mozambicain Mgr Gonzalves qui est venu clamer sa détresse dans nos bureaux que nous avons décidé de ne plus nous limiter à l’action humanitaire. Mais nous ne voulons pas concurrencer le travail de l’ONU. Nous ne voulons pas non plus concurrencer le travail des diplomates professionnels. Nous ne sommes d’ailleurs pas des pros: nous sommes des hommes inspirés religieusement, qui apportons une connaissance du terrain et de la culture locale – sans laquelle toute politique apparaît déconnectée –, ainsi qu’une «sympathie» pour l’humanité en difficulté.

Concrètement, qu’est-ce que cela veut dire?

Nous travaillons généralement lorsque les parties ont échoué dans le règlement du conflit par la guerre et lorsqu’aucune autre diplomatie n’est plus à l’oeuvre. Nous privilégions la réserve et l’aspect informel. Si nous veillons à travailler en harmonie avec le travail officiel qu’accomplissent les gouvernements et les organisations internationales, nous cherchons surtout à renforcer le désir de réconciliation auprès des différentes parties. Mais nous ne nous reposons pas sur des moyens financiers ou militaires, ni ne poursuivons des objectifs politiques. Nous n’avons pas d’autre objectif que la réconciliation en elle-même.

Lors de votre implication durant la décennie noire en Algérie, on vous a reproché d’ouvrir vos portes à des terroristes. Quelles limites mettez-vous aux moyens que vous déployez?

Je démens cette accusation. Il faut savoir qu’en Algérie comme aujourd’hui en Syrie, l’arme de la désinformation est très utilisée. C’est à l’occasion d’une rencontre interreligieuse à Assise en 1995 que nous avons été sollicités par des musulmans pour tenter une médiation entre les parties algériennes. Les musulmans nous ont posé cette question: pourquoi vous, en tant que chrétiens, ne pourriez-vous pas venir en aide à vos frères musulmans? Nous n’avions rien à opposer à cette idée et nous sommes allés de l’avant. Mais l’armée algérienne a refusé notre invitation. Il est probable que c’est elle qui a essayé de discréditer notre action en nous accusant de recevoir des terroristes à notre table.

Vous parlez de la Syrie. Espérez-vous également y jouer un rôle de réconciliateur?

Notre médiation doit se baser sur une connaissance du terrain. Or, aujourd’hui la désinformation est omniprésente et le terrain n’est plus assez accessible. Nous avions rassemblé à deux reprises les partis non violents et démocratiques à Rome, mais il est apparu que ces partis étaient totalement dépassés par la force des armes. Notre action pour la Syrie se limite donc à l’aide que nous apportons dans les camps de réfugiés au Liban et à la prière organisée par la communauté. On peut dire que la prière est l’humble arme des croyants ou ce que nous appelons sa «force faible». Nous croyons qu’elle a la capacité de rapprocher ceux qui sont éloignés.

En dehors de votre travail de médiateur qui est aussi à l’oeuvre au Kivu ou au Sénégal, un pays où votre action semble appréciée aujourd’hui comme la seule voie de réconciliation pacifique possible, quels sont les autres domaines dans lesquels vous êtes particulièrement investis?

Nous sommes actifs dans l’enseignement et dans la santé à travers le monde. En Amérique centrale, nous avons ouvert des écoles de la paix pour sortir les jeunes des gangs et les éduquer au sens que la paix apporte à l’existence. Nous avons «Dream», un programme important dans la lutte contre le sida qui contribue à éviter la transmission de la maladie de la mère à l’enfant. Mais nous agissons aussi dans les sociétés occidentales, notamment pour lutter contre l’isolement. Le programme «Vive les aînés » pousse ainsi des jeunes à venir auprès de personnes âgées pour adoucir leur solitude.

La communauté Sant’Egidio est née en Italie et son siège est toujours à Rome. Pour vous qui attachez de l’importance à la culture locale, que signifie «être implanté à Rome»?

Rome est une ville qui a une double dimension: elle a une culture locale forte et a toujours vécu dans une dimension universelle. Notre communauté est à son image. On nous surnomme d’ailleurs les «Nations Unies du Trastevere» (le quartier dans lequel nous sommes installés). Nous pensons que notre activité se fourvoie dès qu’elle se détache de la culture. C’est vrai pour notre communauté, mais c’est vrai aussi pour les médiations politiques que nous tentons. La culture est essentielle dans le travail de réconciliation. Elle permet un vrai rapprochement entre les êtres.

 

UNE COMMUNAUTÉ SANT’EGIDIO À LAUSANNE

«Sant’Egidio? C’est une histoire de rencontres d’abord», explique Anne Catherine Reymond, la fondatrice de la communauté Sant’Egidio à Lausanne. «Je suis allée plusieurs fois à Rome et j’ai été séduite par l’ouverture spirituelle de la communauté. Si elle est principalement catholique, je suis protestante. Mais l’essentiel pour moi a été la recherche de la foi que la communauté propose à travers la prière et à travers le service aux pauvres», poursuit-elle avec conviction. L’importance accordée à la prière et au service aux pauvres, c’est cela qui a décidé Anne Catherine Reymond à fonder une communauté Sant’Egidio à Lausanne en 1990. Il n’y en avait pas encore en Suisse et jusqu’à ce jour, elle reste la seule. «Il se peut toujours qu’une communauté se crée. Cela dépend de la volonté de quelques personnes qui ont envie de prier et d’oeuvrer ensemble», explique la fondatrice.

 

Pour l’heure, la petite communauté suisse, qui compte plusieurs dizaines de membres actifs, a développé deux axes de «travail» principaux: la rencontre avec les personnes âgées, organisée par les plus jeunes dans le cadre du programme «Vive les Anciens», et l’assistance aux immigrés. Les membres proposent des cours de langue et une assistance dans les démarches administratives nécessaires à l’obtention de papiers en règle. LDH

 

REPÈRES

Présence dans 70 pays

> La communauté de Sant’Egidio est un mouvement chrétien de laïcs, fondé en 1968 par le jeune Andrea Riccardi, alors âgé de 18 ans. Avec quelques amis, il n’avait d’autre désir que de prier et de venir en aide aux pauvres de son entourage.

> 45 ans plus tard, la communauté compte plus de 60000 membres et est implantée dans 70 pays.

> Elle accomplit un travail important et apprécié en faveur de la solidarité et de la paix dans le monde.

> Association internationale reconnue par l’Eglise en 1986, elle agit de manière autonome par rapport aux organisations officielles du Vatican.

> Fidèle à son principe d’intégration au milieu local, chaque communauté a développé son propre modèle de fonctionnement.

> Sant’Egidio est aujourd’hui un vaste réseau de personnes qui se définissent comme des «compagnons» et mettent leurs compétences particulières au service des activités de la communauté. LDH