“Unissons l’Italie plutôt que la diviser”

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“Unissons l’Italie plutôt que la diviser”, interpelle Mgr Bassetti après la formation du nouveau gouvernement. Il s’exprimait à l’occasion d’une veillée de prière pour l’Italie » animée par la communauté de Sant’Egidio le 7 juin à Sainte-Marie-du-Trastevere (Rome).

Conférence épiscopale italienne (*)

“Le 7 juin 2018, en la basilique romaine de Sainte-Marie-du-Trastevere, s’est tenue une « veillée de prière pour l’Italie » animée par la communauté de Sant’Egidio. Veillée présidée par le cardinal Gualtiero Bassetti, archevêque de Pérouse et président de la Conférence épiscopale italienne (CEI). Dans son homélie, il a médité sur la parabole des talents (Mt 25, 14-29) alors que le nouveau gouvernement du pays venait seulement d’être constitué suite aux dernières élections. Élections qui ont bouleversé le paysage politique de la péninsule. Concernant le serviteur « qui a eu peur et qui a caché son talent sous terre », le cardinal Bassetti a souligné que nombreux sont ceux qui, en ce moment, « ont peur pour eux-mêmes, pour leur avenir, pour notre pays ». Il a incité à ne pas céder à cette peur, « ni ne penser qu’à soi, à son propre intérêt, à son gain personnel, en renonçant à faire commerce de ses talents » pour le bien commun. « Il existe en Italie une humanité que nous ne devons pas perdre ni laisser déborder par la haine et le racisme (…) », a-t-il également affirmé. Pour l’archevêque de Pérouse, « il ne faut pas avoir peur de la politique et en être absent ! » et, les chrétiens, ne peuvent déserter « le service du bien commun qui est de faire de la politique en démocratie ». « Nous risquerions l’inutilité », a-t-il déclaré.”

La DC

 

Chers frères et sœurs,

La parabole des talents, que nous avons entendue de nombreuses fois, nous fait souvent réfléchir sur les dons – les talents – que nous avons reçus dans notre vie personnelle. Elle nous invite à la responsabilité de faire bon usage des talents que le Seigneur nous a confiés. Peut-être n’avons-nous jamais pensé qu’ils n’étaient pas seulement des opportunités ou des qualités de notre vie personnelle.

Aujourd’hui, je voudrais lire ce don des talents d’une autre façon. Ils sont le don d’une patrie, d’une communauté nationale. Chacun reçoit le don d’une patrie : peut-être certains le reçoivent avec davantage d’opportunités que d’autres, mais tout le monde a une patrie. Saint Jean-Paul II disait : « L’expression “patrie” se rattache au concept et à la réalité de “père”. C’est “l’ensemble des biens que nous avons reçu de nos pères” : l’héritage de terre, de culture, d’histoire, de valeurs spirituelles, de langue… ».

Peut-être n’avons-nous pas réfléchi au grand don de Dieu, celui d’avoir une patrie. C’est un fait acquis. Or, ceux qui l’ont perdue ou qui en ont été chassés, ou encore qui ont dû l’abandonner, connaissent bien la valeur qu’elle a. De nombreux réfugiés et demandeurs d’asile cherchent une patrie avec un visage maternel. En guerre – et je me souviens des récits de mon enfance – on comprend la valeur d’une patrie en paix. Jean-Paul II ajoutait encore que le pays est pour chacun, d’une certaine façon, et c’est vrai, une « mère ».

Ces mois-ci, après les élections politiques, nous avons vécu des moments de graves inquiétudes, dont la cause n’était pas seulement la composition du gouvernement qui tardait à venir. Maintenant qu’il est enfin arrivé, nous adressons nos meilleurs vœux de bon travail au nouveau gouvernement au service du bien commun du pays. Néanmoins, nous ne pouvons oublier le climat de tension et les moments de conflit qui ont émergé des entrailles du pays.

En particulier sur l’internet, dont il faut blâmer l’usage quelquefois irresponsable, j’ai senti monter une rage sociale même contre le président de la République et son appel mesuré et sage, garant de tous ses concitoyens.

Il faut un changement dans la vie du pays pour commencer à travailler ensemble : il est, en effet nécessaire, du point de vue éthique, de travailler pour le bien commun de l’Italie, de façon non-partisane, avec charité et responsabilité, sans attiser le feu des frustrations et de la colère sociale. Que toutes les forces politiques, les professionnels de la communication, les responsables, à quelque titre que ce soit, ne se limitent pas à l’intérêt immédiat et partisan ! Qu’ils se rappellent les paroles du prophète Osée : « ils ont semé le vent, ils récolteront la tempête » (8, 7).

Conclure une période difficile, la composition d’un nouveau gouvernement, rappelle à tous le sens des responsabilités dans les paroles et les faits, en tenant toujours compte du respect des personnes et du bien commun. Ma préoccupation concerne tant de lieux, en particulier les banlieues de nos villes, déchirés où s’ajoutent à la fatigue quotidienne de vivre – elle est souvent énorme ! – de nouveaux conflits et défiances. Il existe un tissu humain qu’il faut retisser dans ces parties de notre monde et dans toute la société italienne au nom de la paix civile et sociale.

Je disais, il y a quelques mois, aux évêques italiens : « Nous devons, par conséquent, être capables d’unir l’Italie et sûrement pas de la diviser. Il faut défendre et valoriser le système du pays avec charité et responsabilité. L’avenir signifie aussi raccommoder le tissu social de l’Italie avec prudence, patience et générosité ».

L’Église est engagée à recoudre le tissu italien, car elle est et souhaite demeurer signe d’unité et de paix en Italie. Le monde entier a besoin d’une Italie en paix, car nous sommes tous interdépendants. L’Italie donne à l’Europe, à la Méditerranée, au monde une importante contribution de service à la paix, de culture, de travail, de développement. Nous ne pouvons manquer à nos responsabilités, qui ont fait connaître notre pays pour sa sympathie dans le monde entier. Il existe en Italie une humanité que nous ne devons pas perdre ni laisser déborder par la haine et le racisme, mais bien au contraire intensifier et transmettre à nos enfants.

La parabole des talents montre comment deux serviteurs ont investi le don qu’ils avaient reçu en l’utilisant avec sagesse : l’un gagne deux talents, l’autre en gagne cinq. Tous les deux reçoivent l’approbation du Seigneur : « Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur ».

Il reste un serviteur, celui qui a eu peur et qui a caché son talent sous terre. Nombreux d’entre nous, en ce moment, ont peur pour eux-mêmes, pour leur avenir, pour notre pays. Ainsi, par peur, ils cherchent à ne pas perdre contenance, à se mettre à l’abri, à échapper presque au destin commun d’être italien de façon responsable. Il ne faut pas avoir peur ni ne penser qu’à soi, à son propre intérêt, à son gain personnel, en renonçant à faire commerce de ses talents pour le bien commun du pays.

Il y a quelques mois, le pape François, qui s’exprimait ici à Sainte-Marie-du-Trastevere, à la communauté de Sant’Egidio, et que je remercie aujourd’hui pour son initiative, a dit : « Le climat de peur peut aussi contaminer les chrétiens qui, comme ce serviteur de la parabole, cachent le don reçu : ils ne l’investissent pas dans l’avenir, ils ne le partagent pas avec les autres, mais ils le conservent pour eux ».

Oui, nous aussi avons risqué de nous faire contaminer par le climat de peur et nous nous sommes enfermés dans notre environnement. Nous avons eu même peur de la politique, comme s’il s’agissait de quelque chose qui nous salissait, tout en oubliant qu’elle demeure un grand service à la communauté nationale, à la patrie, notre mère à nous et à nos enfants.

Il ne faut pas avoir peur de la politique et en être absent ! Je l’ai dit aux catholiques depuis le début de mon mandat, comme président de la Conférence épiscopale italienne (CEI), et – après l’expérience de ces derniers mois – je le répète avec plus de convictions encore : n’ayons pas peur de la responsabilité politique. Je ne le dis pas pour favoriser un dessein politique plutôt qu’un autre. Ce n’est pas le rôle des prêtres !

Or, je crois que les chrétiens, en ce moment si grave de notre histoire, ne peuvent pas être absents ni fuirent, avec leurs valeurs, au contraire – comme disait Paul VI – eux qui sont « experts en humanité ». Oui, ils ne peuvent déserter le service du bien commun qui est de faire de la politique en démocratie. Nous risquerions l’inutilité : « Vous êtes la lumière du monde… et l’on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau ; on la met sur le lampadaire et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison » (Mt 5, 14-15). Éclairer ce n’est pas dominer, mais pas davantage se cacher sous le boisseau.

Le moment est venu, comme je l’ai dit récemment, de commencer de nouveaux processus, sans se soucier d’occuper des espaces de pouvoir. De nouveaux processus où les jeunes – surtout les jeunes – se sentent appeler à assumer de nouvelles responsabilités et à élaborer de nouvelles « idées de reconstruction » pour la démocratie de notre pays. Je suis convaincu que les énergies morales de ce pays sont encore nombreuses, de même que les talents inexploités qui ont besoin d’être valorisés.

Prions pour l’Italie, pour que l’Esprit du Seigneur souffle dans le cœur des responsables et des Italiens, afin qu’ils s’engagent pour le bien commun, en particulier pour les catégories les plus pauvres de la population, en gardant en mémoire que l’Italie – de par son histoire et sa position géographique en Europe et en Méditerranée – a une vocation particulière et une responsabilité qui lui est propre. Que notre pays puisse être une vraie mère pour tous les citoyens ainsi qu’une présence de paix et de secours dans le monde !”

(*) Traduction française de Sophie d’Alessandro pour La DC. Titre de La DC.