“Si un seul membre souffre, tous les membres partagent sa souffrance”

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Au 1er novembre 2018, l’interdiction de la mendicité sera généralisée à tout le canton de Vaud. À cette mesure s’ajoute une possible « interdiction de périmètre » pour la personne en situation de détresse : la police pourra lui interdire l’accès à une place, une rue voire un quartier pour plusieurs semaines.

Aujourd’hui, nous partageons la souffrance de Mindra et de Bogdan et, avec eux, de toutes les personnes qui sont concernées par l’interdiction de la mendicité dans le canton. Nous sommes dans l’affliction. Nous vous invitons à lire son témoignage.

“Si un seul membre souffre, tous les membres partagent sa souffrance. La tête ne peut pas dire aux pieds : « je n’ai pas besoin de vous ». Que les différents membres aient tous le souci les uns des autres ». Première lettre de Paul aux Corinthiens (21, 25, 26)

Nous, S. Egidio, restons convaincus que les personnes qui se trouvent dans nos rues à Lausanne sont en situation de détresse et que cette mesure d’interdiction est un mur supplémentaire qui s’érige et qui les exposera à encore plus de précarité. Ce mur ne va pas non plus apaiser la rage et la peur des gens.

A S. Egidio, nous cherchons des voies pour ne pas rester prisonniers de la peur de l’autre, de la peur du futur. Bâtir des ponts, rencontrer l’autre dans son parcours de vie, qu’il soit rom, migrant ou âgé adoucit le cœur et permet de comprendre l’autre. Pourquoi s’en prendre à celui qui n’a d’autre moyen de subsistance que de tendre la main au coin de nos rues ?

Ryszard Kapuscinski a dit « chaque fois qu’un homme rencontre un autre homme, trois choix s’offrent à lui : faire la guerre, s’isoler derrière un mur ou établir le dialogue ». Ne faisons pas la guerre aux pauvres, la chasse aux mendiants ! Etablissons le dialogue ! Cela fera du bien à tous, cela nous rendra inventifs et peut-être trouverons-nous ensemble des voies pour plus de justice et d’égalité.

Le Pape François nous incite à faire croître la cohabitation pacifique de tous les peuples de la terre. Le peuple rom en fait partie. Que Dieu nous demande-t-il dans cette situation ?

Aujourd’hui, l’aumône est un geste communément méprisé, jugé condescendant. Pourtant, le geste de l’aumône est une occasion de s’arrêter, de regarder le pauvre dans les yeux, de prendre à cœur son histoire personnelle, de partager une partie de ce qu’on a. Bref, entrer en relation avec lui. L’aumône, c’est mettre un peu de « pietas », de bonté, dans une vie sociale qui en manque souvent cruellement.

Dans le texte ci-joint, Mindra, mendiante à Lausanne depuis 8 ans, parle d’amitié. Elle s’est sentie aimée par certains d’entre vous. Elle a offert aussi à ceux qui le voulaient ses prières, son attention. A l’occasion de la nuit des Eglises 2017 (portes ouvertes à S. Egidio), elle a confectionné du pain pendant des heures. Qui prendra soin aujourd’hui de Mindra ? L’interdiction va la faire disparaître de nos rues comme les quelque 80 autres personnes roms vivant à Lausanne.

Il s’agit d’un processus de mort sociale. L’autre devient invisible, déshumanisé. Un errant.

Or nous avons tant à apprendre du pauvre : s’il nous arrive de soutenir les pauvres, nous aussi, nous sommes soutenus par eux. Les pauvres nous évangélisent. Ils nous donnent beaucoup. Nous le vivons quotidiennement à S. Egidio. En premier lieu, ils nous rappellent notre faiblesse.  Les pauvres nous rappellent que nous sommes faibles et fragiles. Ils nous parlent de la vanité d’une vie renfermée dans nos milieux protégés.

Cette évangélisation-là nous mène à comprendre les paroles du pape Benoît XVI dans l’encyclique « Deus caritas est » qui invite à avoir « un cœur qui voit », capable de se rendre compte de celui qui est en face de soi.

Les pauvres sont des personnes à aimer et non un problème à résoudre. Jésus a donné sa vie pour eux, non pour une abstraction nommée pauvreté. Ils sont à l’image de Dieu.

Nous ne pouvons que nous opposer à cette mesure d’interdiction. Elle punit et chasse le pauvre. Elle s’apparente à ce qu’on faisait au Moyen-âge aux lépreux, contraints de vivre à l’écart, dans des huttes que l’on parsemait de terre de cimetière. Après que le prêtre ait prononcé la formule « Sis mortuus mondo, vivens iterum Deo » (Meurs au monde, renais à Dieu), qu’il ait dit une prière consolatrice et planté une croix de bois avec un tronc pour l’aumône, le malade était abandonné. Voulons-nous répéter cela avec des pauvres d’aujourd’hui ?

Notre opposition à cette interdiction repose sur deux piliers hérités de la tradition chrétienne :

  • Offrir un service pratique en réponse aux besoins immédiats des individus, familles et communauté
  • S’opposer aux structures économiques et sociales injustes qui maintiennent ou mettent les personnes en situation de pauvreté.

Chers amis, nous vous invitons à résister. A offrir des lieux de réconfort et d’accueil.

La compassion ne demande pas seulement qu’on donne une aumône à un mendiant qu’on rencontre dans la rue, mais qu’on s’arrête auprès de lui, comme les apôtres Pierre et Jean, qui ont montré  comment l’amitié de Dieu peut soulever quelqu’un et lui redonner la vie (Ac 3,1-11).

A l’instar du Bon Samaritain (Luc 10, 25), le chrétien est appelé à s’arrêter auprès de ceux qui ont été meurtris, qui ne peuvent continuer seuls le chemin, qui ont besoin d’un geste concret pour se relever.

C’est le rôle du chrétien de travailler à la justice. Pour Saint-François d’Assise, l’aumône est une stratégie pour restaurer la justice dans un monde profondément injuste et pas seulement une question de « compassion paternaliste » : « Elemosina est hereditas et iustitia, quae debetur pauperibus » (François d’Assise, RnB IX).

L’apôtre Paul nous incite à cultiver les mêmes sentiments que le Christ (Phil 2,5), à nous rappeler que le Père n’est pas seulement notre père, mais aussi le père de chaque homme ou femme pauvre. La Communauté de S. Egidio essaie de vivre cette vocation: nous ne sommes pas les assistants sociaux des pauvres, mais leurs amis, leurs frères et sœurs en Jésus (Mt 25,40).