Comme des rats

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En cet été 2019, un groupe de S. Egidio Lausanne s’est rendu en Roumanie pour aider famille rom à bâtir sa maison. Il a été témoin de conditions de vie très dures vécues par des familles dans certains villages. Aline, l’une d’entre nous, en témoigne :

La route est improbable. Il y a bien un panneau qui annonce Iclod. Mais personne ne va à Iclod, qu’il n’y habite. Une succession de palissades ou de clôtures (obligatoires en Roumanie dès qu’on a une maison) indique qu’on est entré dans le village. On passe de l’autre côté de la palissade pour aller saluer une famille de Roms rencontrée dans les rues de Lausanne lorsque la mendicité y était licite.

La boue est partout, formant des vaguelettes ; et au creux de chacune d’entre elles, une flaque d’eau beige, qui stagne. Le terrain, irrégulier et glissant, est jonché de bouts de bois pointus, de chaises cassées, de fils de métal. A quelques mètres, 4 murs et un toit, avec devant, presque à l’abri, un fauteuil défoncé sur lequel sont entassés de minces duvets bariolés en une pyramide instable.

Tout le monde est là, dix, douze, quinze personnes ? Sourires édentés, petite fille qui dort dans les bras, enfants riant sous cape et agrippés aux jambes de la maman. Dans un français original et lacunaire, mais déchiffrable sans aucune peine , ils disent « Nous pas café pour vous, nous rien,enfants pas mangé aujourd’hui ». Et ils demandent, demandent, demandent. Le langage de la misère n’a pas besoin de longues phrases ni de subordonnées.

On entre : sol de terre battue, inégal, une pièce sombre, humide, dans laquelle ils expliquent que le soir, ils disposent les couvertures multicolores pour dormir. Ou en tout cas, se coucher. C’est ça, la maison.

Vient l’idée : est-ce qu’il n’y a pas des rats qui couratent par là ? C’est un lieu idéal pour eux. Et alors la sempiternelle question : où se cache ici Celui que nous, communauté de S. Egidio, prions régulièrement ? Ce n’est pas possible, Il s’est arrêté de l’autre côté de la palissade , et même, franchement, avant le panneau annonçant Iclod.

Mais non : on se souvient de ces histoires revenues des camps de la mort : un groupe de rabbins qui conclut sa discussion avec cette phrase : Dieu n’existe pas ; et ils prient. Ou bien, la même interrogation devant le spectacle imposé aux prisonniers, d’un adolescent n’en finissant pas de mourir parce que trop léger, pendu à une corde dans la cour du camp. Et cette Voix inaudible, venue des tréfonds de l’âme -mais c’est où, les tréfonds de l’âme?- et qui affirme, dans le grand silence de l’absolue détresse: « C’est précisément là que Je Suis. Golgotha… ça te dit quelque chose, quand même ? »

Donc, c’est sûr ; à Iclod, Il ne peut pas ne pas être là.

Surtout s’il y a des rats.